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Dans un de ses charmants dialogues, Antonio Cavanilles met le poète en scène, et lui fait dire :

« Tant que j’ai vécu, on m’a laissé dans la misère ; aujourd’hui on m’élève des statues dont je n’ai que faire, et on ne dit aucune messe pour le repos de mon âme, dont j’aurais pourtant grand besoin. »

Cette plainte proférée en Espagne, il y a quelques années, a été entendue : l’Académie espagnole fait célébrer annuellement depuis lors un service solennel pour le repos de l’âme de Cervantes, et des hommes de lettres morts pendant l’année. Édifiante et pieuse coutume que l’Académie Française hésitera sans doute à suivre.

Outre l’immortel poème de Don Quichotte, qui a fait sa gloire, on sait que Cervantes a écrit des nouvelles, et fait des comédies qui n’ont pas eu tout le succès qu’elles méritaient.

En voyageant, je lis son Voyage au Parnasse, qui est moins populaire et beaucoup moins connu que Don Quichotte, et j’y trouve des choses ravissantes sur les poètes.

Pour faire ce voyage, Cervantes monte en croupe sur le Destin, parce que c’est la monture de tout le monde, tantôt légère comme l’aigle, et tantôt lente comme la tortue.

D’ailleurs, toute monture est bonne au poète, parce qu’il n’a pas de bagage, et ne s’occupe nullement des affaires pratiques qu’il regarde comme des vétilles. « Il pleure la guerre ou chante l’amour, et la vie passe pour lui comme un songe, ou comme le temps pour les joueurs passionnés. »