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son discours se recompose dans sa tête, comme un air oublié ; le président des Cortès, les tribunes disparaissent, il ne voit plus que son geste, il n’entend plus que sa voix, il ne sent plus que la flamme irrésistible qui le brûle, et la force mystérieuse qui le soulève. Il est beau de l’entendre dire : « Je ne vois plus les murs de la salle, je vois des peuples et des pays lointains que je n’ai jamais vus. » Et il parle pendant des heures, et pas un député ne sort, personne ne bouge dans les tribunes, pas une voix ne l’interrompt, pas un geste ne le distrait ; même quand il manque au règlement, le président n’a pas le courage de l’interrompre ; il fait briller à son aise l’image de sa république vêtue de blanc et couronnée de roses, et les monarchistes ne se risquent pas à protester, parce qu’ainsi vêtue ils la trouvent belle, eux aussi. Castelar est maître de l’assemblée : il tonne, il éclate, il chante, il brille comme un feu d’artifice, il fait sourire, il arrache des cris d’enthousiasme, il achève au millieu d’un tonnerre d’applaudissements, et s’en va la tête à l’envers. Tel est ce fameux Castelar, professeur d’histoire à l’Université, écrivain fécond dans les questions de politique, d’art, de religion ; publiciste qui gagne cinquante mille francs par an dans les journaux d’Amérique, académicien élu à l’unanimité par l’Academia Española, montré avec admiration dans les rues, adoré du peuple, aimé même par ses ennemis politiques, jeune, beau, un peu vain, généreux et heureux. »