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C’est un vif regret pour moi de n’avoir pu l’entendre, et je ne puis que reproduire ce que d’autres en ont dit. Voici comment de Amicis l’a jugé :

« Il est la plus complète expression de l’éloquence espagnole. Il pousse le culte de la forme jusqu’à l’idolâtrie ; son éloquence est une musique, son raisonnement est esclave de son oreille ; il dit une chose ou ne la dit pas, ou la dit dans un sens plutôt que dans un autre, selon qu’elle convient ou non à la période ; il a une harmonie dans la tête, et la suit ; il lui obéit, il lui sacrifie tout ce qui pourrait l’offenser ; sa période est une strophe, il faut l’entendre pour croire que la parole humaine, sans rythme poétique et sans chant, puisse arriver aussi près de l’harmonie du chant et de la poésie. Il est plus artiste qu’homme politique ; il a de l’artiste non-seulement l’esprit, mais encore le cœur : un cœur d’enfant, incapable de haine ou d’inimitié. Dans tous ses discours on ne trouverait pas une injure ; dans les Cortès il n’a jamais provoqué une sérieuse querelle personnelle, il ne recourt jamais à la satire, il n’emploie jamais l’ironie ; dans ses plus violentes philippiques il ne verse pas une goutte de fiel, et la preuve c’est que, républicain, adversaire de tous les ministres, journaliste militant, accusateur perpétuel de quiconque exerce un pouvoir, et de quiconque n’est pas fanatique de liberté, il ne s’est fait haïr de personne. Et c’est pour cela qu’on jouit de ses discours et qu’on ne les craint pas ; sa parole est trop belle pour être terrible, son caractère trop sincère pour qu’il puisse exercer une influence politique ; il ne sait pas jouter, comploter, conduire