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qui ont la couleur de la malachite ne reculent devant aucun obstacle. C’est en vain que la montagne de calcaire se dresse devant eux, quand ils arrivent aux pieds de Tolède. Le fleuve charmant et charmé ne se détourne pas, il creuse son lit profond dans le roc déchiré, comme le Saguenay à travers les Laurentides, et, ne pouvant se détacher de sa ville bien-aimée, il en fait presqu’entièrement le tour. Il l’étreint dans ses bras, il la caresse, il reproduit son image dans le miroir de ses eaux, il l’abreuve, il la défend, il l’orne comme un bracelet ! Traversez la ville dans tous les sens, et vous arrivez toujours à un escarpement effrayant ; penchez-vous au bord de l’abîme, et vous apercevez au fond les eaux sereines du Tage.

Oh ! quelle ville merveilleuse et quel site enchanteur ! Tous les châteaux en Espagne que j’ai bâtis dans ma jeunesse, tous les rêves fantastiques auxquels mon imagination a donné des formes dans les vastes domaines de l’idéal ne sont pas illusoires. Ils existent, et je viens de les contempler.

Les voyages, les veilles, le travail, et — pourquoi ne l’avourais-je pas ? — les année, avaient un peu émoussé ma sensibilité, mais la vue de Tolède a ravivé toutes les fibres les plus délicates et les plus élastiques de mon être. Elle m’a rajeuni. Elle m’a donné plus d’émotions et d’enthousiasme que n’auraient pu le faire le plus mouvementé des drames, et le plus sublime des poèmes.

C’est qu’en réalité Tolède est une véritable épopée de pierre, où sont décrits trois âges de l’art, et qui chante le triomphe définitif du Christianisme sur l’Islamisme.