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« Tandis que toutes ces plaisanteries passaient et se croisaient aux oreilles de Diégo, comme des fusées, les jeunes gens avaient placé Pastora sur le cheval. Celle-ci, qui ne se doutait pas de l’embarras de Diégo, ni de la résistance qu’il avait faite, s’établissait commodément, arrangeait ses jupes, prenait d’une main le mouchoir attaché à la queue du cheval, et passait l’autre sans façon autour de la taille de Diégo, s’appuyant sur le cœur du jeune homme, qu’une émotion inconnue faisait battre fortement.

On se mit en marche, et bientôt le beau cheval de Diégo fut en avant de tous.

Diégo Mena, qui, dans le village, était seulement connu sous le nom de Diégo le silencieux, surnom que lui avaient valu sa taciturnité et la solitude dans laquelle il vivait, était arrivé à l’âge de vingt-six ans sous l’influence de l’horrible catastrophe qui semblait avoir paralysé tous ses sentiments, et les avait concentrés sous la double impression du chagrin et de l’horreur. Il était resté si seul dans le monde, que rien n’était venu interrompre ce tête-à-tête avec sa douleur et sa tristesse.

Diégo était comme un arbre dont la sève a été glacée par le froid de l’hiver, et qui, dépouillé, triste et sombre, n’a pas l’air de vivre. Mais, à peine fut-il en contact avec cette belle jeune fille, si pure, si suave, si pleine de vie, qu’il lui sembla qu’une douce et vivifiante brise de printemps venait ranimer son existence. Aux rayons de ce soleil de vie et d’amour, il tressaillit, ses feuilles s’entr’ouvrirent, ses fleurs s’épanouirent, et