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Ce qui est vraiment étonnant sur cette place, et dans la rue d’Alcala qui l’unit au Prado, c’est le mouvement. Un pareil rassemblement défie toute description. Ni Broadway, de New-York, ni Cheapside, de Londres, ni les boulevards de Paris ne présentent ce spectacle ; et cela dure tout le jour, et presque toute la nuit.

Ce qui distingue tout particulièrement cette multitude de la foule américaine, c’est qu’elle n’est jamais pressée. Tout le monde paraît flâner, et se chauffer au soleil. Le millionnaire et le mendiant, le politicien et l’artiste, l’homme d’affaires et le rentier, semblent n’avoir d’autre occupation que le far niente. Tous marchent à pas lents, majestueusement drapés dans leurs manteaux ; et le pauvre n’y met pas moins de forme et d’élégance que le riche. C’est ici que Victor Hugo pourrait parler de torchons radieux : il y en a.

Après cela, vous ne serez pas surpris d’apprendre que l’Espagnol est un fumeur infatigable. Il fume toujours, et partout. À l’opéra, et dans les hôtels, il n’y a pas de salon pour les dames, mais il y a un fumoir. Le soleil d’Espagne, si radieux, ne perce pas sans peine les nuages de fumée de tabac qui s’élèvent de Madrid. J’attribue au besoin de fumer des conducteurs la lenteur des chemins de fer espagnols. Il faut bien que le chef du train et le chef de gare allument de temps en temps la pipe, ou fument leurs cigares.

J’ai passé huit jours à Madrid, dont quatre au Musée du roi. C’est qu’en réalité Madrid ne possède guère autre chose que son admirable galerie de peinture, la