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complaisance et, si vous me dites qu’ils avaient tort, je vous rappellerai que nous-mêmes prenons assez souvent nos défauts pour des vertus.

Mais, pour le chameau, la bosse n’est pas un défaut ; c’est une qualité qui lui permet de mieux remplir la fin pour laquelle il a été créé. Le chameau est le portefaix du désert, et, comme il est très fort, on entasse sur son dos une montagne de colis. Or, ce qui retient solidement cette charge sur son dos c’est sa bosse, et sans elle la charge se déferait chaque fois que le chameau s’agenouille ou se couche dans le sable.

Je pourrais vous dire aussi que ses larges pieds plats l’empêchent d’enfoncer dans le sol, et que son long cou penché vers la terre lui permet de respirer un air plus frais, et de se cacher la tête dans les dunes quand arrive le simoun, vent de feu ; mais j’aime mieux vous parler de ses vertus.

J’ai d’abord pris cet animal en pitié, et j’ai fini par l’aimer. Si j’étais un poète arabe, j’en ferais le héros de quelque poème.

Il est d’une douceur et d’une patience que n’ont pas les meilleurs notaires. Il est plus sobre que le plus sévère teetotaler ; car il peut passer une semaine sans boire, ni manger. Il est désintéressé à l’égal des hommes politiques ; et si je cherchais un terme de comparaison pour vanter son dévouement à son maître et sa docilité, je n’en trouverais pas même parmi les journalistes. Ce n’est pas en Canada qu’un partisan politique pousserait l’oubli de lui-même jusqu’à s’agenouiller devant son chef, pour qu’il puisse monter sur son dos, et gravir les hauteurs du pouvoir !