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Cela dure trois, six et quelquefois douze heures. Puis le calme se fait, et le soleil impitoyable reprend possession de son empire qu’il incendie sans cesse et qu’il ne détruit jamais. Mais la mer de sable a changé d’aspect, et, toute calme qu’elle soit, elle a conservé la surface d’un océan en furie. Les ravins d’hier sont comblés, les collines sont changées en ravins ; où il y avait de simples dunes s’élèvent des montagnes bouleversées. Parfois une tente a disparu, et le tourbillon connaît seul où il l’a emportée.

Enfin, la nuit est venue. Le ciel est ensemencé d’astres flamboyants. Les chiens hurlent et les chacals répondent, pendant que l’on prend le dîner. Puis tout s’apaise, les Arabes s’étendent sur la terre calcinée, comme des cadavres ensevelis dans leurs blancs linceuls, et l’on n’entend plus que le gardien des chevaux qui les gourmande, ou quelque marabout qui prie.

Cette esquisse du désert et de la vie nomade ne serait pas complète si je ne vous parlais un peu d’un animal qui y joue un grand rôle, et qui a été créé uniquement pour le désert — je veux dire le chameau.

Peut-être vous êtes-vous demandé quelquefois pourquoi le chameau est bossu, et pourquoi il est affligé d’autres formes disgracieuses.

Veuillez bien remarquer d’abord que tout est relatif en ce monde ; même en fait de beauté et de grâce, il n’y a pas de règle absolue. J’ai vu des chameaux au bord d’un étang, qui paraissaient s’y mirer avec une certaine