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Le lien qui rattache l’Arabe à la vie du désert, est l’amour de la liberté ; et l’on en voit qui, après avoir reçu à Paris une éducation brillante, reviennent sous le ciel de feu qui les a vus naître, et recommencent la vie patriarchale sous la tente.

Sous la tente, l’horizon est borné, mais au dehors quelle immensité ! Et comme il est vaste le pays des rêves ! Comme il s’élargit le domaine contemplatif dans ces mornes solitudes, où l’homme est si petit et Dieu si grand ! Voyager, quand on se sent des ailes, quelle jouissance ! Changer de latitude et d’horizon, sans changer de patrie, pour désaltérer sa soif de pensée, et donner quelques douces illusions à la nostalgie de l’âme exilée du ciel, quel triomphe sur la monotonie de l’impuissance humaine, et sur cette loi de gravitation qui vous tient fixé à terre !

Un poète contemporain, M. Jean Aicard, a mis ce chant dans la bouche de l’Arabe nomade :

Loin des hommes, bien loin des hommes et des villes ;
Loin des Juifs, des marchands dont les âmes sont viles ;
Loin des Chrétiens qui sont nos maîtres détestés ;
Sous le désert divin des cieux illimités,
Sur les plateaux des monts ou dans la plaine immense,
Dans l’oasis, dans les déserts où Dieu commence,
Où finit la puissance humaine, — où le soleil
S’assied comme un grand roi sur un trône vermeil,
Dans le sable qui couvre une mer inconnue,
— Errants comme la vague, et les vents et la nue,
Comme le brin de paille au hasard emporté —
Nous vivons pauvres, seuls, riches de liberté !
Vois-tu luire là-bas, dans la plaine éclatante,
Cette tente rayée, au soleil ? — c’est ma tente
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