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À peine avons-nous franchi la porte du Désert, que la température s’élève subitement de plusieurs degrés. En deçà de cette porte, il pleut trois mois par an ; à 1500 pieds de distance, il pleut une fois tous les deux ans. Le soleil devient brûlant. Il n’y a plus de route carossable, mais un mauvais sentier à travers une plaine de sable et de petits cailloux roulés, dans lequel la diligence cahote affreusement. Heureusement, pour nous distraire et nous reposer, nous rencontrons de distance en distance tantôt une caravane, tantôt un campement arabe, tantôt une oasis.

De temps en temps, nous roulons au fond de quelques ravins et nous traversons des rivières sans ponts, confiants dans la Providence des voyageurs. Les chevaux regimbent, la diligence se détraque, le cocher crie et fouette dru, mais nous allons toujours ; ce qui est dangereux dans la traversée des rivières, ce n’est pas l’eau, il n’y en a pas ; ce sont les cailloux, et je puis vous assurer qu’ils ne sont pas tendres pour les voyageurs.

Après la Fontaine de la Gazelle, toute petite oasis nouvellement formée par le creusement de puits artésiens, vient El-Outaïd, vaste oasis et village arabe. Quelques agriculteurs français s’y sont fixés, et, grâce à des arrosements artificiels, ils y cultivent les céréales avec succès. Le 24 janvier, j’y ai vu des champs où l’orge était épié.

Au coucher du soleil, nous arrivons au col de Sfa. Je renonce à vous décrire le panorama qui se déroule alors sous nos yeux. Les premiers soldats français qui le virent s’écrièrent : la mer ! la mer ! C’est en effet l’océan