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tagnes de granit brun et rouge. Un pic isolé, tout-à-fait blanc, s’appelle la Montagne de sel. Un autre, rose et transparent, se nomme la Montagne d’albâtre, et les rayons du soleil y produisent un effet merveilleux.

Toute végétation disparaît. La solitude grandit, et nous nous croirions au bout du monde, si les caravannes ne continuaient de défiler à nos côtés et de varier le spectacle.

Soudain, voici que les colossales murailles de granit, en se rapprochant toujours, ont complétement fermé l’horizon. Au-delà, sans doute, est le Désert, et ces chaînes de montagnes sont les bornes dans lesquelles Dieu le tient captif en lui disant, comme à l’Océan : tu n’iras pas plus loin. Mais comment y pénétrer ?

Dieu a bien fait toutes choses, et s’il a emprisonné dans un cercle de montagnes la vague mobile du Désert, il n’a pas voulu en fermer complètement l’entrée à la civilisation, et ses mains divines ont taillé dans le granit d’El-Kantra une porte monumentale. Les Arabes l’ont appelée la Bouche du Désert, et ce nom est d’autant mieux trouvé que les montagnes qui lui servent de cadre sont garnies de dents comme d’énormes mâchoires.

El-Kantra offre un contraste d’une incomparable beauté. En deçà de cette porte du Désert, un parterre de fleurs variées, un bosquet d’orangers et de citronniers, des haies verdoyantes, un restaurant français, caché dans un massif de verdure, semblent représenter la civilisation à laquelle nous tournons le dos. Et, au-delà de l’étroite ouverture percée dans la montagne, nos