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Je supprime également le voyage en chemin de fer de Sétif à Batna, et notre course à Lambessa, village arabe bâti au milieu des ruines imposantes d’une ancienne ville romaine, et je cours au bord du Sahara.

À cinq heures du matin nous quittons Batna, en route pour le Grand Désert.

Les coqs chantent, mais avant le temps ; car le 24 janvier, à 5 h. A. M., je doute que les yeux des coqs eux-mêmes soient assez perçants pour voir l’aurore.

La nuit est belle, calme, merveilleusement étoilée. Six chevaux robustes emportent au grand trot notre diligence dont les lanternes éclairent la route. Autour de nous tout est solitude et silence ; mais bientôt nous nous apercevons que d’autres voyageurs ont été plus matineux que nous ; car la lueur vacillante des lanternes éclaire trois fantômes blancs qui cheminent à pied devant nous. Nous sommes dans un défilé de montagnes, et cette apparition me fait songer à Dante, Virgile et Béatrix parcourant l’un des vallons du purgatoire.

Un peu plus loin, nous voyons se dessiner et s’avancer des silhouettes étranges : c’est une caravane venant du désert et se dirigeant vers la ville. Les chameaux au nombre de 25, bâtés de sacs, de colis, de paniers, entassés sur leurs bosses comme des montagnes, défilent à nos côtés de leur pas lourd et régulier. Les Arabes marchent à côté, drapés dans leurs burnous blancs, avec leurs capuchons ramenés sur leurs têtes, et tenant des bâtons dans leurs mains croisés — comme une procession de moines qui porteraient des palmes.