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naufragés, dont les corps reposent dans l’immense sépulcre de la Méditerranée.

À l’issue des vêpres, les chantres entonnent tout à coup le libera. Le prêtre officiant revêt son écharpe de deuil ; la croix suivie du clergé, s’avance dans la nef comme pour un enterrement vers la porte de l’église.

Sur la terrasse qui couronne le promontoire se rangent le clergé et la foule. Le porte-croix va se placer entre les deux acolytes au bord de l’escarpement, le prêtre officiant se met en face, et n’en est séparé que par un drap mortuaire porté par quatre enfants de chœur, puis, il récite les prières de l’absoute, il jette vers la mer quelques gouttes d’eau bénite, et, levant les mains, il bénit cette tombe où tant de malheureux gisent ensevelis.

Rien n’égale la solennité touchante et la grandeur dramatique de ce spectacle.

Ô vous tous, pensais-je, qui dormez dans les plis funèbres des abîmes de la mer, n’avez-vous pas tressailli ? Ne vous êtes-vous pas réveillés de votre sommeil ? Ces murmures et ces chants que vous avez dû entendre, ce ne sont pas les vagues qui se plaignent au rivage, ce ne sont pas les vents qui soulèvent les flots, ce ne sont pas les navires encombrés de vos frères vivants qui sillonnent la mer, ce sont des prières, des cris vers Dieu qui sollicitent pour vous la résurrection et la vie.

La cérémonie était finie, et je restais là, rêveur, les yeux fixés sur la mer qui battait le pied du promontoire ; le vent en ridait légèrement la surface ; et des