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Mais il ne m’entendait déjà plus. Sourd à mes sages avis, il retroussa sa moustache, et s’élança dans le ruisseau. Mais sa monture tenait moins que lui à voir ces dames et bronchait. Criblé de coups, le pauvre mulet s’aventura cependant, enfonça peu à peu et finalement tomba dans le lit fangeux de la rivière. Cette chute refroidit mon chevalier, et il revint à moi couvert de boue.

— « Eh bien, lui dis-je, c’est maintenant qu’il te faut une blanchisseuse. Elle joindra l’utile à l’agréable ».

Il se mit donc à faire signe aux lavandières de traverser le ruisseau ; et pour les y engager davantage, il portait la main à son cœur, et leur envoyait des baisers du bout des doigts. Mais pas une ne bougeait. Plus pratique que mon jeune ami, je tirai de ma poche et je leur montrai une monnaie d’argent, puis une seconde et une troisième. J’allais sacrifier un quatrième franc, lorsqu’une des blanchisseuses s’engagea hardiment dans la rivière. Le chevalier était ravi, il se moquait du guide qui prétendait que nous nous exposions à des coups de sabre. Enfin, la blanchisseuse arriva. Elle annonçait soixante ans et n’avait qu’un œil !