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beaucoup ensemble. Le Français avait quarante ans, et l’Allemand, très distingué et très Parisien, n’en avait pas trente. Pendant notre course à la Kasbah, ils étaient allés faire une excursion à dos de mulet au cap Spartel, à quelques milles de Tanger. Quand je les retrouvai à l’hôtel, le Français me raconta une de leurs aventures :

« Nous étions en pleine campagne, me dit-il, chevauchant sur nos misérables montures, comme don Quichotte et Sancho. Avec mon âge et mon ventre rebondi, j’étais Sancho, et mon compagnon, avec ses grandes moustaches, était le chevalier de la Manche, moins la triste figure. Il faisait de l’esprit, et je parlais bon sens. Arrivés à un ruisseau, nous aperçûmes, de l’autre côté, des blanchisseuses arabes, sans voiles. Les unes battaient et tordaient de blancs burnous de leurs mains vigoureuses ; d’autres foulaient sous leurs pieds nus des tapis moelleux repliés dans un creux de rocher et tout ruisselants d’écume ; celles-ci savonnaient des abayas et des kaïks, et celles-là activaient en chantant des feux où de grands chaudrons pendaient aux crémaillères, et préparaient le kouscouss pour le dîner.

Cette scène, vue d’un peu loin, était vraiment poétique, et mit en ébullition les sentiments chevaleresques de mon jeune ami.

— « Par le Prophète ! cria-t-il, je me sens léger comme une gazelle et je passe le ruisseau.

— « Prends garde, lui dis-je, il y a sans doute des chaouchs cachés dans le voisinage, et tu t’exposes à des coups de matraque ».