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Elles ne sortent donc jamais de leurs maisons. Les seules que l’on rencontre dans la rue sont des femmes de mauvaise vie, ou celles que la pauvreté oblige de sortir pour aller gagner leur subsistance. Mais, alors, elles se couvrent la tête et le visage d’un double voile qui ne laisse voir que leurs yeux, et quand elles passent dans la ville elles ne parlent à aucun homme, et aucun homme ne leur parle. Le mari lui-même, qui rencontre sa femme dans la rue, ne lui adresse pas la parole, parce que ce serait compromettant pour elle et pour lui-même — le public ne pouvant pas savoir que c’est sa femme.

Quand ces pauvres recluses veulent prendre l’air, il faut donc qu’elles se contentent de sortir dans la cour intérieure de leurs maisons ; et s’il y a quelque spectacle inusité, ou quelque grande démonstration dans la rue, on leur permet de monter sur les toits qui sont plats et forment terrasse.

C’est de là seulement qu’enveloppées dans leurs burnous blancs, elles peuvent se pencher au bord des terrasses et risquer un œil dans la rue.

C’est ainsi qu’à la faveur de la procession nous avions pu voir un grand nombre de têtes de femmes émergeant des toits, et nous suivant des yeux avec curiosité.

C’est ainsi que, du haut de la Kasbah, nous les apercevions encore courant sur les toits, dévoilées et pieds nus. Cette coutume est, sans doute, très antique, puisque la Genèse dit en parlant de Joseph : « Il est d’une rare beauté, et les filles de l’Égypte ont couru sur la muraille pour le voir »