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réside à Fez, qui est la capitale. Mais, à Tanger il y a une espèce de gouverneur auquel on donne les noms de khalife, de pacha ou de kaïd, et qui cumule les pouvoirs administratif et judiciaire.

Il y a des juges qu’on appelle cadis et qui n’ont qu’une jurisdiction limitée. Mais les sujets qui veulent recourir directement à la justice du pacha peuvent le faire. Cette administration de la justice est très expéditive. La chose s’explique : il n’y a pas d’avocats !

Quand le pacha vient rendre la justice, un jour fixé d’avance, il est accompagné d’un état-major. À son entrée dans la salle d’audience, le bachamba (huissier audiencier) crie : le pacha vous salue au nom du Prophète. Puis il monte s’asseoir sur un trône, et le bachambra crie de nouveau : « Le prince vous salue tous et va vous rendre justice ».

Alors entre le porte-pipe qui va présenter une pipe démesurément longue, ornée de diamants, au juge assis sous un soleil d’or ; et, tout en fumant et caressant sa barbe, le digne magistrat entend les plaideurs, et les juges.

Dans un district de la province de Québec, qui m’est bien connu, il y avait jadis un juge de la Cour Supérieure qui fumait ainsi à l’audience, et qui déposait son sac à tabac sur le banc, afin de permettre aux avocats d’y venir remplir leurs pipes. C’était le bon temps alors, mais le bon temps est passé dans ce district, et le juge d’aujourd’hui n’a pas les allures d’un pacha.

Donc le pacha fume et juge. Il ne motive pas ses jugements, ce qui doit être très commode, et il tranche