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Quel admirable panorama présente cette ville, vue de la mer, par un soleil radieux ! C’est un immense château de neige surmonté de minarets roses qui dominent toutes les terrasses, et qui s’élancent des blanches mosquées, comme les étamines sortent des calices des fleurs. La ville est bâtie en amphithéâtre sur le versant d’un superbe promontoire, et se mire dans une jolie baie d’azur bordée de sable d’or.

À peine l’ancre est-elle jetée que notre vaisseau est entouré d’une multitude de chaloupes, montées par des Arabes. Vous avez lu souvent les histoires peu flatteuses des pirates, leurs ancêtres ? Eh bien, tels pères, tels fils ! Ce sont bien encore des pirates, et ils en ont conservé toutes les allures. Il faut voir ces figures basanées, énergiques, où brillent des yeux de feux, ces bras et ces jambes nus dont les muscles se tendent comme des cordages, ces têtes généralement rasées, coiffées de fez rouges ou de turbans gris, ces corps robustes, drapés dans les burnous blancs ! Il faut entendre leur langage, leurs cris, voir leurs gestes, et l’on se trouve immédiatement transporté dans un autre monde, totalement différent de l’Europe.

Au bas de l’échelle du steamer, toute une escadre de ces pirates vous attend, et comme chacun d’eux veut vous avoir dans sa chaloupe, ils vous tiraillent, en sens contraires, et si vous n’y prenez bien garde vous courez la chance de prendre un bain entre deux chaloupes.

Enfin, nous abordons ; mais sur le rivage une autre multitude de forbans nous attend, plusieurs dans l’eau jusqu’à la ceinture, pour nous arracher nos bagages.