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prendre patience. Or, je ne vous dirai jamais assez quelle patience il faut pour voyager en Espagne, la nuit, dans un train omnibus. Certes, j’aime un ciel clair, tout scintillant d’étoiles, avec la lune toute grande qui poursuit sa course en attachant sur vous son regard serein ; mais tout lasse en ce monde, et je fus heureux de voir enfin l’orient changer sa couleur terne, et passer du gris sombre au rouge, du rouge au rose, et du rose à l’opale.

Le soleil ne paraissait pas encore, quand nous aperçûmes sur notre gauche, suspendu aux rochers d’une montagne désolée, le palais colossal des rois d’Espagne.

Les proportions de l’Escurial sont étonnantes, même vues de loin ; mais quand vous en approchez, vous avez peine à retenir un cri de surprise, je n’ose pas dire d’admiration. C’est un géant qui vous écrase, mais qui ne vous plaît pas, et que vous êtes tenté de trouver monstrueux. L’architecte a réussi à faire grand, mais non à faire beau.

Cet immense édifice est dû à Philippe ii, qui le fit construire en accomplissement d’un vœu fait à saint Laurent, et l’architecte lui a donné la forme d’un gril pour rappeler le martyre du saint. Il contient un couvent, un palais, une église, des cours, des jardins, des galeries, des portiques, et l’on pourrait construire une ville avec le granit qu’on y a amoncelé.

Vous savez quand vous y entrez, mais non quand vous en sortirez. À peine le seuil franchi, vous avez la frayeur de n’en jamais sortir. C’est un labyrinthe de cours, de passages, de vestibules, de portiques, d’escaliers,