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science historique, politique, religieuse et morale du peuple, la carte de ses vicissitudes sociales, de sa gloire et de ses malheurs. En lui se réunissaient tous les tons, tous les degrés de la poésie se mêlaient et se confondaient : la tragédie, la comédie pure, le drame sentimental et romanesque, jusqu’à l’humble farce ; et le génie du poète y faisait entrer tous les caractères sociaux, depuis le plus élevé jusqu’au plus misérable, sans qu’il en résultât aucun inconvénient, aucune disproportion entre les parties qui le constituaient. C’était un portrait fidèle de la société espagnole, et qui, par cela même, ne pouvait choquer aucun des éléments dont elle était formée.

« Mais dès que nous eûmes cessé d’être ce que nous étions, dès que les circonstances nous forcèrent d’être autres, dès que nous eûmes accepté au théâtre la littérature classique, il fallut bien admettre les formes de ce genre, la division et la subdivision qui constituaient son essence, avec les unités d’action, de temps et de lieu. De même donc que chez ceux qui nous servirent de modèle, la tragédie demeura exclusivement consacrée à représenter les catastrophes des rois, et des grands personnages qui, tombés du faîte de la prospérité dans l’abîme du malheur et de la misère, portaient héroïquement le joug de la fatalité et excitaient la pitié parmi le peuple ou y répandaient la terreur ; la comédie proprement dite livra aux traits du ridicule et d’une satire polie et courtoise les vices et les mœurs des classes moyennes, et la comédie bâtarde et sentimentale eut pour mission de mettre sur la scène les infortunes ordi-