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Au reste, ils n’étaient pas les seuls. Les Anglais, les Allemands et les Italiens en faisaient autant. L’engouement fut tel que les beaux esprits en vinrent à ne plus goûter que Racine, Corneille et Molière, et mirent en oubli Calderon, Lope et Tirso.

Heureusement le peuple résista à cet entraînement, et ne voulut pas reconnaître la supériorité des gloires étrangères. Il garda le souvenir des ancêtres glorieux, et s’il ne put imposer le culte de l’originalité native, il en conserva l’admiration.

Mais cette résistance du peuple n’empêcha pas le triomphe des imitateurs de la littérature française.

Don Iñacio de Luzan, qui avait étudié en Italie, publia une poétique conforme aux traités de littérature acceptés en France, et Montiano fit jouer des tragédies composées suivant les règles établies par les grands dramatistes français. Mais on représentait surtout des pièces françaises traduites en espagnol.

Quelques écrivains se rendirent plus ou moins célèbres sous le règne de Charles III. Cadahalso publia des poèmes satiriques très spirituels. Yriarte fut un fabuliste qui imita Lafontaine. Moratin, père, fit quelques tragédies, et chanta les exploits de Fernand Cortez dans un poème épique.

Sous Charles IV, il y eut progrès, et l’on vante les poésies de Melendez et surtout les comédies de Moratin, fils. Ce dernier fut le meilleur dramatiste de l’Espagne au dix-huitième siècle, et Molière fut son modèle. Sans doute, il n’égala pas les grands génies dont nous avons apprécié les œuvres. Mais il avait du goût,