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en quoi le poète fait consister l’honneur des femmes. La jalousie n’a pas dans les mœurs que dépeint Calderon, comme dans celles de l’Orient, la possession pour objet, elle s’attache aux plus légères émotions du cœur et aux signes imperceptibles qui les trahissent ; c’est un genre de jalousie fait pour ennoblir un sentiment qui, dès qu’il n’est pas entièrement exclusif, est altéré dans son essence la plus noble et la plus intime. »

Je ne suis pas prêt à adopter entièrement cette opinion du critique allemand qui me paraît un peu optimiste, et je crois devoir citer comme correction ce qu’ajoute un critique français :

« Il ne faut pas croire aveuglément M. Schlegel, lorsqu’il vante d’une manière absolue la pureté de sentiment des personnages de Calderon. Dans plus d’une occasion il met dans la bouche de ses amoureuses une formule qu’il avait adoptée : « Ici je me tais ; ma honte doit vous dire, ce que ma bouche ne peut vous répéter. »

« Il y a mieux, ou, pour vous parler plus juste, il y a pire. Il fait quelquefois le spectateur, non pas témoin, grâce à l’opacité des décorations et des coulisses mais confident immédiat d’événements dont le récit seul nous choquerait.

« On doit reconnaître pourtant qu’il a sur ce point un grand avantage sur Lope. Cela dut tenir au siècle où il vivait. La réunion de toute l’Espagne sous le même gouvernement, l’essor prodigieux qu’avaient pris la littérature et les arts, l’augmentation de l’aisance des citoyens, les connaissances rapportées par les militaires de leurs voyages en Italie, en Allemagne, en France,