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de mon pouvoir…… J’ai jeté un homme par cette fenêtre, prenez garde que je n’y jette aussi votre honneur. »

Enfin, le prince fait preuve d’un caractère tellement emporté et violent, qu’on l’endort de nouveau, et qu’on le reporte dans sa tour, où il se réveille bientôt, enchaîné et couvert de peaux de bêtes.

Alors, son vieux gouverneur, Clotaldo, lui dit que tout ce qu’il a vu et fait n’était qu’un rêve. « Mais même dans un rêve, ajoute-t-il, vous auriez dû, Sigismond, vous conduire autrement que vous avouez l’avoir fait. Même en rêve, il est beau et utile de faire le bien.

Sigismond.

Il dit vrai. — Réprimons donc ce naturel farouche, ces emportements, cette ambition pour le cas où je viendrais encore à rêver. Il le faut et je le ferai, puisque je suis dans un monde si étrange que vivre c’est rêver, et je sais par expérience que l’homme qui vit rêve ce qu’il est jusqu’au réveil. — Le roi rêve qu’il est roi, et il vit dans cette illusion, commandant, disposant et gouvernant, et les louanges mensongeuses qu’il reçoit, la mort les trace sur le sable et d’un souffle les emporte. Qui donc peut désirer de régner, en voyant qu’il lui faudra se réveiller dans la mort……… Il rêve, le riche, en sa richesse qui lui donne tant de soucis ; — il rêve, le pauvre, sa pauvreté, ses misères, ses souffrances ; — il rêve, celui qui s’agrandit et prospère ; — il rêve, celui qui s’inquiète et sollicite ; — il rêve, celui qui offense et outrage ; — et dans le monde, enfin, bien que personne ne s’en rende compte, tous rêvent ce qu’ils sont. Moi-