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J’y cultive le bien dont Dieu me fait jouir.
Et dans ce petit coin, j’ai deux lits à ma guise ;
L’un est dans ma maison et l’autre dans l’église :
Ils suffisent tous deux pour vivre et pour mourir.

LE ROI.

À vous en croire alors, jamais de votre vie,
Vous ne vîtes le Roi…………

JEAN.

Je n’en ai point d’envie
Nul plus fidèlement ne lui garde sa foi,
Et ne l’a respecté comme je le fais, moi,
Qui ne le vis jamais.

LE ROI.

Et cependant il passe
Par ici mille fois pour aller à la chasse.

JEAN.

Moi, je me cache alors au fond de ma maison,
Et vous savez déjà quelle en est la raison :
Je l’honore de loin et sans voir son visage :
Mais par réflexion je crois être, en petit,
Un roi comme le roi, même avec avantage,
Car je dors mieux et mange avec plus d’appétit.

LE ROI.

Ah ! vous avez raison.

JEAN.

Plus que lui, je suis riche,
Car je puis prodiguer le temps dont il est chiche,
Si je veux aller seul, je m’en vais seul sinon,
Je choisis à mon gré, quelque bon compagnon ;
Bref, de ma volonté je suis roi sans contrôle,
Sans souci, sans affaire, et c’est le meilleur rôle :
Car le plus grand bonheur où tendent nos désirs
C’est bien, sans contredit, d’être riche en loisirs.