Page:Routhier - À travers l'Espagne, lettres de voyage, 1889.djvu/25

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 26 —

un caballero gigantesque, drapé dans une large cappa doublée de rouge, s’installe à côté de nous après nous avoir dit en soulevant son sombrero : buenas noches (bonsoir.) Nous le saluons à peine pour lui témoigner qu’il n’est pas le bienvenu ; et tout tranquillement il allume un cigare. C’était le moment pour moi de sortir mon espagnol, que j’étudiais depuis le matin.

— « No se fuma, señor, lui dis-je, avec un embarras parfaitement caché.

Si, si, répondit-il en me montrant la porte de la voiture, et il se pencha en dehors pour me montrer la pancarte qui devait lui donner raison. Mais la pancarte lui donnait tort ; et il éteignit immédiatement son cigare en nous faisant très poliment ses excuses.

Ce premier succès en espagnol me mit de bonne humeur, et j’essayai de causer avec le nouveau venu, qui se montra charmant et qui m’apprit plus d’espagnol en deux heures que je n’en ai appris depuis en huit jours.

Je lui exprimai mes craintes au sujet de la neige, et il m’apprit qu’elle avait en effet arrêté un train deux jours auparavant, mais que la voie n’était plus embarrassée, et que nous serions seulement retardés de quelques heures. Quand nous nous séparâmes à Burgos, nous étions devenus des amis.

La nuit était avancée. Il faisait un froid sec, comme nous en avons en décembre en Canada, et dans le ciel devenu serein la lune escaladait les plus hautes cimes de la Sierra Demanda. Un omnibus traîné par deux mulets, et dont les ais mal joints craquaient affreuse-