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De même il se moque aussi de l’engoûment de ses compatriotes pour les titres de noblesse. À une femme indienne qui l’interroge sur son nom, un Espagnol répond : Je me nomme Rodrigue.

— Es-tu noble ?

— Tous les Espagnols le sont.

Nous avons dit que Lope de Vega avait tenté tous les genres. Citons quelques pages d’une de ses comédies champêtres intitulée « Le campagnard dans son coin. » C’est Jean le laboureur qui parle :

Seigneur, si je bénis votre bonté divine,
Ce n’est pas pour les biens dont vous seul me comblez :
Ni pour m’avoir donné cette ronde colline
Que couvrent mes troupeaux, mes vignes et mes blés ;
Ni pour avoir rempli mes jarres par douzaines,
De l’huile recueillie aux oliviers des plaines,
Pour baigner à loisir mes fromages épais ;
Sans compter, Dieu merci ! tant d’autres qui sont pleines,
Grâce aux vieux oliviers plantés sur les sommets.
Ce n’est pas quand je vois de mes ruches fécondes
Les innombrables nids où tant d’oiselets nains
De leur miel savoureux versent les gouttes blondes
Qu’ils dérobent aux fleurs sous vos regards sereins ;
Ni quand je vois ployer les solives serrées
De mes greniers nombreux, où votre puissant bras,
Écartant de mes champs l’orage et les frimas,
Entasse de mes blés les montagnes dorées ;
Car, vous seul vous comptez les grains de nos moissons,
Seigneur, et je n’en suis que l’humble majordome ;
Mais malgré tous ces biens dont nous vous bénissons,
Je reste toujours simple et toujours économe……
Et ce n’est pas non plus en voyant maint pressoir
Regorger jusqu’au bord de grappes écumeuses
Ni mes tonneaux rangés et prêts à recevoir
Ce qu’octobre abandonne aux brunes vendangeuses ;