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Pour vous donner une idée de son théâtre, il est nécessaire de vous en citer quelque chose. Voici d’abord comment s’ouvre une de ses meilleures comédies intitulée « Le meilleur alcade est le roi ; » c’est une pastorale charmante quoique le style en soit un peu précieux.

Un berger est seul au bord d’un ruisseau qui serpente dans une vallée. Il aime une bergère, nommée Elvire, et il confie son amour aux flots qui murmurent, aux fleurs qui embaument, aux oiseaux qui gazouillent. Puis il s’adresse à sa bien-aimée comme si elle était devant lui :

« Hier, tandis que sous tes pieds de lis tu foulais le sable sur lequel coule ce ruisseau, les grains s’en changeaient en perles… Le linge que tu lavais te causait une peine inutile, car dans tes mains il paraissait n’avoir jamais de blancheur…

Elvire survient, et le surprend contemplant le ruisseau où il l’a vue la veille : — Que viens-tu donc chercher dans le cristal de ce ruisseau ? Sont-ce les coraux que j’ai perdus sur ses bords ?

— Non pas, je me cherche moi-même, car hier je me perdis en ce lieu. Mais je me retrouve enfin puisque je te vois et que je vis tout en toi.

— Je croyais que tu venais m’aider à chercher mes coraux.

— …Eh ! bien donne-moi ma récompense, je les ai trouvés.

— Où cela ?

— Sur ta bouche, où ils servent de cadre à des perles… Je t’ai dit hier tout ce qu’il y a dans mon cœur, et tu ne m’as pas répondu.