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vous cet emblème adopté par un savant de notre temps, et consistant en un miroir suspendu à un arbre, contre lequel des enfants lancent des pierres : periculosum splendor !…… Je me suis attiré des ennemis, des censures, des jalousies, du blâme et des soucis ; j’ai perdu un temps précieux, et j’ai atteint la vieillesse sans pouvoir vous laisser autre chose que ces avis inutiles… »

Ces avis attristés dénotaient la vieillesse ; mais les vieillards de ce temps-là avaient encore autant de sève que les jeunes gens d’aujourd’hui ; et pour vous le prouver, je veux vous citer un tour de force que fit encore Lope de Vega à l’âge de 70 ans.

Il voulut faire une dernière comédie, qui serait ses adieux au théâtre, en collaboration avec son jeune élève Montalvan. Le premier jour ils firent chacun un acte, et comme la pièce devait avoir trois actes, ils convinrent qu’ils feraient le lendemain chacun une moitié du troisième acte. Montalvan voulut devancer son vieux maître : il se leva à deux heures du matin, et à dix heures il courut chez lui pour lui annoncer qu’il avait fini. Il le trouva dans son jardin émondant ses arbres.

« Eh ! bien, dit Montalvan tout triomphant, j’ai fini. — Et moi aussi dit le vieux poète : je me suis levé à cinq heures, j’ai fait mon demi-acte et comme il était encore de bonne heure, j’ai écrit une épître en cinquante tercets ; puis j’ai déjeuné de friture, et je suis venu arroser mon jardin. »

Je connais des journalistes de trente et quarante ans qui n’en feraient pas plus dans toute une semaine, ce qui ne les empêche pas de diriger l’opinion publique et la politique.