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Non, ce n’est plus sur ce ton que le poète chante. Il est devenu vieux, il est resté seul au monde, et enfin il est prêtre. Écoutez cette voix grave et plaintive :

Quand mes coupables mains vous portent, ô Seigneur,
Quand je lève à l’autel l’innocente victime,
De ma témérité je me ferais un crime,
Et m’étonne de voir votre insigne douceur.



Parfois mon âme tremble et frissonne de peur,
Parfois je m’abandonne à votre amour sublime,
Et plein de repentir, au bord de cet abîme,
Je flotte entre l’espoir, la crainte et la douleur.



Seigneur, tournez vers moi vos yeux pleins de tendresse !
Car, hélas ! trop souvent le monde et son ivresse
M’ont déjà de l’erreur fait suivre les chemins.



Seigneur, quels maux seraient comparables aux nôtres.
Si quand nous vous portons dans nos indignes mains,
Vous nous laissiez tomber en écartant les vôtres ?

Je reproduis ce sonnet en espagnol pour que le lecteur puisse admirer la richesse de la rime et l’harmonie de la langue :

« Cuando en mis manos, rey eterno, os miro,
Y la candida victima levanto.
De mi atrevida indignidad me espanto,
Y la piedad de vuestra pecho admiro.



Tal vez el alma con tenor retiro,
Tal vez la doy al amoroso llanto ;
Que arrepentido de ofenderos tanto,
Con ansias temo, y con dolor suspiro.