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quittée, il est allé un jour aux bords des flots et il dit à la mer : « Je voudrais te boire pour pouvoir recommencer à pleurer ! »

Ô folle jeunesse !

En 1584, l’amour qui n’avait été jusque-là qu’une débauche pour notre poète, fut remplacé par un sentiment sérieux et honorable, et Lope épousa Isabelle, fille de don Diego d’Urbino, attaché à la cour en qualité de roi d’armes.

Mais ce mariage lui occasionna des épreuves de diverse nature ; la chose arrivait déjà dans ce temps-là.

Par suite de ses folles équipées de jeunesse, il eut un duel, fut emprisonné, puis exilé de Madrid. On retrouve dans une de ses élégies les adieux touchants qu’il fit alors à sa femme et à sa patrie :

« Oh ! ma douce et tendre épouse, le voilà donc arrivé le jour amer de notre séparation déjà tant pleurée ; je livre aux vents ma voile et mes espérances ; je me sépare de vous… mais je reste près de vous si je puis partir en vous laissant mon âme.

« Adieu douce et chère Espagne, marâtre de tes enfants véritables, et mère tendre et hospitalière des étrangers ! L’envie me chasse de ton sein. Hélas toute patrie est donc ingrate ?…… »

Valence où il se retira se montra hospitalière et généreuse pour l’exilé. Sa femme était allée l’y rejoindre lorsqu’elle mourut.

Il y avait alors comme aujourd’hui des veufs inconsolables : Lope de Véga fut de ceux-là, et dans l’espoir de se consoler il rentra dans la carrière militaire.