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Un jour que Dorothée, toute en larmes vient lui dire adieu et s’évanouit, il s’écrie : « Je suis mort ; ma vie est terminée. Ah ! Señora ! Oh ! ma Dorothée, oh ! mon dernier espoir ! Amour, tes flèches se brisent ; soleil, ta lumière s’éclipse ; printemps, tes fleurs se flétrissent ; le monde est dans l’obscurité. »

Et quand Dorothée est partie, il dit à son ami Julio, resté près de lui : « ferme toutes les fenêtres ; que la lumière ne frappe pas mes yeux, puisqu’ils viennent de voir partir celle qui fut la lumière de mon âme. Ôte cette dague d’auprès de moi ; car l’intimité est un démon, l’habitude un enfer, et l’amour une folie, qui tous me conseillent de m’en servir pour me tuer…… »

Mais la réclusion n’est pas de longue durée. L’amoureux veut bientôt revoir au moins la maison de celle qu’il adore. Il va le soir errer à sa porte, espérant qu’elle l’invitera à entrer ; et quand Julio lui dit : « Je ne vois que des ombres qui passent d’un côté à l’autre de la fenêtre, » l’amoureux reprend : « ce doit être mon bonheur qui passe ; il n’a jamais été qu’une ombre dans cette maison. »

Et pendant ce temps-là il fait des élégies, des idylles, des sonnets et des ballades. « Aimer et faire des vers, c’est tout un, dit-il… et toutes les perfections de Dorothée m’ont coûté plus de deux mille vers. »

Et que de larmes il répand ! « Ne pouvant couvrir ses mains de diamants je les baignais de larmes ; et elle les recevait comme si elles eussent été des pierres précieuses plus belles que toutes celles qu’elle avait vendues et dédaignées. » Dans son désespoir de l’avoir