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du Christ était joué avec une foi profonde, et quant à Judas, le parterre était tellement irrité contre lui qu’il l’aurait tué s’il ne s’était pas suicidé.

Les scènes du Prétoire, de la Flagellation, du Couronnement d’épines, de la montée au Calvaire étaient représentées avec un réalisme effrayant.

« Je n’ai jamais assisté, dit M. Habeneck, à un spectacle plus émotionnant, plus déchirant : l’acteur ne faisait grâce ni d’un soupir, ni d’une larme, ni d’un cri ; Jésus fut lentement cloué sur la croix, et chaque coup de marteau retentissait lugubrement dans l’âme des spectateurs, frappés d’épouvante. Enfin la croix fut dressée, Jésus respira l’éponge imbibée de vinaigre, parla avec les larrons. Les soldats jouèrent aux dés son manteau, pendant que les saintes femmes pleuraient. Puis lorsque le Christ s’écria : Elie ! Elie ! lama sabacthani ! laissa tomber sa tête, et rendit l’âme, toutes les lumières s’éteignirent dans la salle, une lueur effrayante éclaira la scène, un coup de grosse caisse retentit, les tombes s’entrouvrirent, et tous les spectateurs tombèrent à genoux, se frappèrent lourdement la poitrine en s’écriant : Jésus ! Jésus ! »

Il va sans dire qu’en Espagne comme ailleurs le théâtre, en se développant, a bientôt abandonné les sujets exclusivement religieux, et a représenté des scènes historiques et mondaines, et des études de mœurs.

Mais il est bien remarquable qu’en sortant de l’église le théâtre espagnol n’est pas devenu impie ni païen. La forme a été souvent libre, parfois même licencieuse, mais le fond est resté catholique.