Page:Routhier - À travers l'Espagne, lettres de voyage, 1889.djvu/191

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 192 —

Don Roland répondit : « Taisez-vous, neveu Gaïferos, il y a sept ans que votre femme est en captivité, je vous ai toujours vu un cheval et des armes, et maintenant que vous n’en avez plus, vous voulez la chercher ; j’ai fait serment à Saint-Jean-de-Latran de ne prêter mes armes à personne pour qu’on ne me les rende pas lâches. Mon cheval est bien dressé. Je ne voudrais pas qu’on le gâtât. »

Gaïferos irrité tire son épée, et veut se battre avec son oncle. Les grands s’interposent, et Roland lui dit qu’il le châtie parce qu’il l’aime bien, et qu’il le sait bon chevalier. Non seulement il lui prête ses armes et son cheval, mais il offre de l’accompagner. Gaïferos refuse, et part seul, après avoir été armé par Don Roland qui lui remet même son épée en lui disant : « Quand même viendraient deux milles Maures, ne tournez jamais la tête. Rendez la bride à mon cheval, et qu’il fasse à sa volonté, il saura vous aider et vous sortir de danger. »

« Gaïferos chevauche dans le pays des Maures ; un voyage de quinze jours il l’a fait en huit. Par les montagnes de Sansuena il s’en va très irrité ; les clameurs qu’il poussait arrivaient jusqu’au ciel. Il allait maudissant le vin ; il allait maudissant le pain, le pain que mangent les Maures et non celui de la chrétienté. Il allait maudissant la femme qui n’a qu’un fils, car si les ennemis le tuent personne ne le vengera. Il allait maudissant le chevalier qui chevauche sans page, car si son éperon se détache il n’a personne pour le lui chausser. Il allait maudissant l’arbre qui naît seul dans un champ, parce que tous les oiseaux du monde viennent y becque-