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as le visage d’un homme et les manières d’un lion sauvage ; ne reviens pas de ce jour en un an. » « Tu me bannis pour un an, reprend le bon Cid, mais je m’exile pour quatre ; et il s’en va avec trois cents cavaliers, tous gentilshommes, tous jeunes et la lance au poing. »

Les poètes espagnols de cette époque n’ont pas célébré seulement les preux chevaliers de leur pays : ils ont aussi chanté les paladins de France, et surtout Roland, Renaud de Montauban, Olivier, et les autres guerriers fameux de Charlemagne.

L’un d’eux a raconté un exploit assez bizarre et comique de Roland. À l’occasion d’une fête, les douze pairs de France s’étaient réunis auprès de l’empereur Charles. Renaud seul était absent, et les chevaliers poussés par Ganelon l’accusèrent alors de trahison. Roland prit sa défense, et parla si durement à l’empereur que ce dernier lui donna un soufflet. Don Roland irrité jura de tirer vengeance des douze pairs, et il partit seul avec un petit page pour l’Espagne. À la frontière, il rencontra un Maure vaillant qui gardait un pont, et qui refusa de les laisser passer. Roland tua le Maure, prit ses armes, ses vêtements, et il quitta les siennes pour en revêtir le Maure. Il envoya le corps en France par son petit page auquel il dit de le porter à la belle Aude, et de lui dire que c’était son fiancé, et qu’elle eût à le faire enterrer. On imagine avec quelle douleur la belle Aude reçut ce triste message, et quelle fut la tristesse de toute la France. L’empereur et les douze pairs pleurèrent amèrement, et les archevêques et prélats firent de pompeuses funérailles au regretté paladin.