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Les romances consacrées au Cid sont postérieures à celle que nous venons de citer. Le style en est naïf et rude, mais elles n’offrent guère d’intérêt, quoiqu’elles ne soient pas dénuées de simplicité et de grandeur. Le paladin y apparaît comme une espèce de barbare, qui ne reconnaît d’autre droit que la force brutale, et devant lequel le roi lui-même tremble.

La plus originale est celle où le Cid fait jurer au roi qu’il n’a participé en rien à la mort de son frère.

Voici les paroles que le terrible chevalier adresse au roi :

« Que les vilains te tuent, Alphonse, les vilains et non les gentilshommes ; qu’ils ne soient point des Castillans mais des Asturies d’Oviedo ; qu’ils te tuent avec des aiguillons, et non avec des lances et des dards, avec des couteaux à manche de corne, et non avec des poignards dorés ; qu’ils portent des chaussures grossières et non des souliers avec lacets ; qu’ils aient des capes pour la pluie, et non de drap de Courtray ou frisé ; qu’ils aient de grosses chemises d’étoupe, et non de Hollande ni travaillées ; qu’ils montent des ânesses, et non des mules ni des chevaux, qu’ils se servent de brides de corde, et non de cuir passé au feu ; qu’ils te tuent dans des champs labourés et non dans un bourg ni dans un village ; qu’ils t’arrachent le cœur par le côté gauche, si tu ne dis la vérité sur ce que je t’ai demandé. »

On comprend qu’après avoir prêté un tel serment sur une serrure de fer, et sur une arbalète de bois, le roi ait pu dire au Cid : « Va-t-en, Rodrigo, va-t-en au diable ; tu