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est séparée du reste de l’Europe. Une zone mystérieuse l’enveloppe, et la traverser semble une entreprise pleine de hasards.

Lors donc que j’ai voulu m’embarquer à Marseille pour Barcelone, je me suis heurté à mille obstacles. Telle compagnie avait de mauvais paquebots auxquels on me conseillait de ne pas risquer ma précieuse existence.

Telle autre n’avait aucun départ avant le dimanche suivant, et nous étions au lundi. Enfin, les steamers de la troisième ne partaient que tous les quinze jours, et arrivaient Dieu sait quand.

Il me restait la voie de terre ; mais c’était plus long, plus dispendieux et plus fatiguant. Comme compensation, cette voie me rapprochait de Lourdes, et la grande fête de l’immaculée Conception était prochaine.

Ces raisons me décidèrent à changer mon itinéraire, et à rentrer en Espagne par le Nord. C’était prendre le taureau par les cornes, et je savais à quelles injures de la température je m’exposais. Mais les éléments et les hommes semblaient conjurés pour me fermer la voie la plus courte, et je dus prendre la plus longue.

C’est ainsi que j’ai fait deux entrées en Espagne, l’une imaginaire et l’autre réelle ; et, comme on s’en doute bien, l’imaginaire a été la plus belle.

Les belles vagues libres de la Méditerranée avaient à peine un frisson, et le mistral mourait dans le port même de Marseille. Après douze ou quinze heures d’une navigation charmante, nous entrions dans les eaux calmes qui baignent les pieds de Barcelone.