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De temps en temps, dans ces profondeurs sombres, un rayon de lumière vous arrive, tantôt d’en haut, tantôt d’en bas. Ce sont des ouvertures béantes sur votre tête et sous vos pieds, qui communiquent avec d’autres galeries. C’est effrayant.

Vous avez souvent vu une fourmilière ? Vous avez observé ce monticule tout troué ? Chaque trou indique un petit sentier où circule tout un petit peuple de fourmis, et dans l’intérieur est un magasin de provisions. Telle est la forteresse de Gibraltar : c’est une fourmilière. Mais les fourmis sont des artilleurs et le magasin contient d’inépuisables provisions de bouches… de canons.

Cependant, après avoir examiné toute une série d’horreurs, nous arrivons à quelque chose de moins sombre. C’est une vaste grotte naturelle, suspendue à plus de mille pieds au-dessus du niveau de la mer, et dans laquelle les officiers de la garnison donnent des dîners et des bals. On l’appelle la salle Saint-George, et les jours de fêtes, on en décore les voûtes et les parois de drapeaux et de fleurs. Les canons se transforment alors en divans, les embrasures en boudoirs, et toute la sombre caverne devient un berceau de Vénus, suspendu aux flancs de Bellone. Puis nous continuons à monter, mais à ciel ouvert, les regards perdus sur l’Espagne, et sur la baie qui miroite à nos pieds. De la hauteur où nous sommes, le port nous paraît tout petit, et tacheté de nombreux navires qui ressemblent à des insectes.

Enfin nous atteignons le sommet, étroit et grêle comme le dos d’une mule efflanquée qu’on aurait bâtée