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guéris. L’infaillible médecin est à leur chevet, et quand ils voudront suivre ses prescriptions, ils recouvreront la santé. Que dis-je ? Ils ont pour chef celui qui fait lever les morts de leurs tombeaux.

Quatre jours après, en revenant de Tangers, nous avons pu débarquer à Gibraltar et y passer plusieurs heures.

La ville n’a rien de bien intéressant, mais la citadelle est pleine de surprises et de redoutables mystères. C’est un roc aussi haut que le cap Trinité du Saguenay, escarpé comme une muraille, irrégulier comme une pyramide gothique.

On le croirait désert, mais il est habité ; sans vie, mais il est vivant ; muet, mais il a des milliers de bouches qui pourraient adresser à l’Europe des paroles fort éloquentes.

Ce n’est pas un nid d’aigles, mais une caverne de lions qui ont grimpé plus haut que les aigles, et qui se sont creusé une tanière pleine de rugissements dans les nuages.

Nous escaladons à dos d’âne les rampes abruptes et tracées en zigzags. Tout à coup la montagne s’ouvre, et nous entrons dans ses flancs. Les galeries souterraines succèdent aux galeries, les cavernes aux cavernes, et à chaque pas sont étendus dans des alcôves monstrueuses des canons énormes, plus terribles que les dragons antiques, tenant leurs gueules ouvertes, ceux-ci sur la Méditerranée, ceux-là sur l’Atlantique ; les uns sur l’Espagne et les autres sur l’Afrique.