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« Le monde est notre cage, et chaque être un perroquet qui grimpe et se balance au-dessus de son prochain.

« Toi, bon seigneur, tu nous donnas, entre autres accessoires, les jambes pour courir, les yeux pour regarder ;

« Pour écouter, l’oreille qui n’est au sourd qu’une parure, et pour parler, la langue, de tous les biens le meilleur…

« Mais las ! aujourd’hui, elle ne suffit plus à dire tout ce que conçoit et enfante notre heureuse cervelle.

« Allonge-la donc d’un tiers de kilomètre, ou donne-lui pour aide quelque membre supplémentaire.

« Jupin fit la grimace, et saisies d’épouvantes, les montagnes s’abîmèrent, les deux pôles dansèrent.

« — Bien, dit la divinité toujours prodigue de ses faveurs, je vais convertir en langues maintes choses de ce bas monde.

« De tes chemises usées, de tes haillons dégoûtants je ferai vêtements de presse, je ferai chair de journal…

« Et pour que tu atteignes les plus hauts sommets, je mets dans ta tête un dépôt inépuisable d’orgueil et d’envie.

« Arrière la honte ! Flatte le puissant, copie, méprise, caquette et t’encense toi-même. »

Et voilà comment sont nés, selon Gonzalez de Tejada, le journal et le journaliste.

Tout en causant avec mon Espagnol de la littérature de son pays, nous approchons de Cadix, et la nuit est venue. Déjà nous apercevons une longue rangée de