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petit bâton, entre dans l’arène, se présente devant, la loge royale, ôte son bonnet, et offre au roi, par une phrase poétique, le taureau qu’il va tuer ; puis il jette son bonnet en l’air comme pour dire : Je vaincrai ou je périrai ! Puis, suivi du brillant cortège des capeadores, il s’avance résolument vers le taureau. Ici, il y a une véritable lutte corps à corps, digne d’un chant d’Homère.

« D’un côté, la brute avec ses cornes terribles, sa force prodigieuse, sa soif de sang, exaspérée par la douleur, aveuglée par la colère, hideuse, sanglante, épouvantable ; de l’autre, un jeune homme de vingt ans, vêtu comme un danseur, à pied, seul, sans autre défense qu’une légère épée. Mais dix mille regards sont attachés sur lui ! Le roi lui prépare un don ! Sa maîtresse est là, dans une loge, qui le regarde ! Mille dames tremblent pour sa vie ! Le taureau s’arrête, le regarde ; il regarde le taureau et agite le drap rouge devant lui. Le taureau se baisse, l’espada se jette de côté, la corne formidable lui rase le flanc, heurte le drap rouge et frappe dans le vide. Un tonnerre d’applaudissements éclate sur tous les gradins, dans toutes les loges, dans toutes les galeries. Les dames regardent avec leurs lorgnettes et s’écrient : «il n’a pas pâli !» Le silence se rétablit, on n’entend pas un mot, pas un murmure. L’audacieux torero fait voltiger à plusieurs reprises la muleta devant l’animal furieux, la lui passe au-dessus de la tête, entre les cornes, autour du cou, le fait reculer, avancer, tourner, sauter, il se fait assaillir dix fois, et dix fois, par un léger mouvement, il échappe à la mort ;