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s’ouvre, un taureau énorme s’élance dans l’arène : un cri formidable sorti de dix mille poitrines à la fois le salue. Le carnage commence.

« Je ne me rappelle que confusément ce qui arriva dans les premiers instants : je ne sais où j’avais la tête.


« Le taureau se lança contre le premier picador, puis recula, reprit son élan et se jeta sur le second ; s’il y eut une lutte je ne m’en souviens pas ; mais, au bout d’une minute, il se lança contre le troisième ; puis il courut au milieu de l’arène, s’arrêta et regarda. Je regardai aussi… et je me couvris le visage avec les mains.

« Toute la partie de l’arène que le taureau avait parcourue était souillée de sang ; le premier cheval gisait à terre, le ventre ouvert, et les entrailles éparses ; le second, le poitrail fendu par une large blessure dont le sang coulait à flots, allait çà et là en trébuchant ; le troisième, qui avait été jeté par terre, s’efforçait de se relever, les chulos, accourus à la hâte, relevaient les picadores, ôtaient la selle et la bride au cheval mort, cherchaient à remettre sur pied le blessé ; des hurlements d’enfer retentissaient de tous côtés.

C’est ainsi que commence le plus souvent le spectacle. Les picadores sont les premiers qui reçoivent le choc du taureau, ils l’attendent de pied ferme et lui plantent leur lance entre la tête et le cou, au moment où il s’abaisse pour donner son coup de corne au cheval. Il faut remarquer que la lance n’a qu’une petite pointe, qui ne peut faire une blessure profonde ; et les picadores doivent à force de bras, tenir le taureau à distance et