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linge est déchiré, vieux, et même sale, mais sous ces vieux vêtements il y a un cœur vaillant qui bat.

Napoléon I s’en est aperçu, quand après avoir vaincu tout le reste de l’Europe il a voulu conquérir l’Espagne !

Sans doute, l’Espagnol est trop fier de ses parchemins, de ses armoiries, de ses décorations. Il jette ses titres et ses quartiers de noblesse à la tête des gens avec la même désinvolture que s’il avait tout récemment conquis Grenade, sous les ordres du Gran Capitan, ou remporté hier la glorieuse victoire de Lépante.

Mais cet orgueil prouve qu’il a le culte des aïeux, le respect des traditions, l’admiration de sa patrie, la foi dans sa force et dans sa vitalité.

À chaque pas je vois projeter des balcons et des fenêtres grillées ; quand vient le soir j’y retrouve le spectacle des amours chastes d’autrefois. Derrière cette grille il y a une jeune Sévillanaise à demi cachée, prêtant l’oreille aux serments d’amour d’un jeune homme qui reste dans la rue, et qui y passe toute la soirée, sans pouvoir même effleurer du bout des doigts la main de celle qu’il adore.

C’est après le mariage seulement qu’il pourra franchir le seuil de cette chambre qui lui semble un paradis !

Écoutez cette romance d’un poète espagnol contemporain, don Antonio de Trueba.

L’amoureux a passé la nuit à soupirer sous la fenêtre, et la jeune fille n’a pas perdu un mot de sa tendre sérénade ; mais le soleil va se lever :

« Allons, dit-il à sa belle, adieu, soleil des soleils !

« — Jésus ! tu me quittes si tôt !