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Je vais au hasard, j’erre à l’aventure, tantôt dans une rue pleine de peuple et de vie, connue la Calle de los Sierpes, tantôt sur une place toute ensoleillée, tantôt dans une ruelle si étroite que les voitures n’y peuvent passer ; mais dans cette ruelle sombre les plus charmantes surprises m’attendent. Ici par une porte cochère entrouverte j’aperçois un palais de fées, un patio fantastique où je vois briller le jaspe et le porphyre au milieu des orangers et des palmiers ; là, je franchis un mur crénelé de pauvre apparence, et je découvre une colonnade de marbre courant autour d’un parterre où les fleurs sourient, où les jets d’eau chantent ; ailleurs un vieil hôtel à l’aspect sévère m’attire : c’est la maison d’un antiquaire et il me montre des centaines de vieux tableaux, des objets d’art, des meubles qui sont autant de reliques.

Vous allez vous moquer de moi peut-être, et les hommes d’affaires et d’argent vont me trouver aussi démodé qu’un vieux meuble. Mais tant pis pour eux ! Car ils ne viendront jamais voir l’Espagne, et s’ils y viennent ils n’y comprendront rien.

Eh ! mon Dieu, je sais bien que Séville, comme toute l’Espagne d’ailleurs, est très arriérée au point de vue matériel. Mais ne vaut-il pas mieux être lent à progresser matériellement que prompt à descendre vers la décadence morale ?

Oui, l’Espagne est un noble hidalgo dont le budget est mince, et dont la toilette est un peu négligée. Souvent sa cappa est en lambeaux, et sous la cappa le