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Dans le même temps, l’infortuné Abu-abd-Allah, surnommé Boabdil, s’éloignait en pleurant de Grenade, et soupirant : Allah huakbar ! Dieu est grand ! Peut-être n’ajoutait-il pas : Mahomet est son prophète !

Il faut avoir visité Grenade pour comprendre quelle dut être la profondeur de son désespoir.

Après quelques jours passés dans cette admirable ville, je la quitte moi-même avec regret, et en promettant d’y revenir un jour.

Je comprends la joie que l’un de ses poètes contemporains, Martinez de la Rosa, a éprouvée, en la revoyant après une absence prolongée, et je ne copie pas sans émotion ce salut poétique qu’il lui a adressé :

« Ô ma bien-aimée patrie ! Je te revois enfin, je revois ton sol si beau, tes champs brillants et féconds, ton soleil éclatant, ton ciel paisible !

« Oh ! oui, je vois la célèbre Grenade s’étendre au bas de ses deux collines, je vois ses tours se dresser au milieu de ses jardins toujours verts, je vois ses fleuves de cristal baiser ses murailles, ses monts superbes entourer la vallée, et la Sierra Nevada couronner ses horizons lointains.

« Oh ! ta mémoire me suivait partout, Grenade ! elle troublait mes plaisirs, ma paix, ma gloire ; elle oppressait mon âme et mon cœur. Sur les rivages glacés de la Seine et de la Tamise, je me rappelais les doux rivages du Darro et du Génil, et je soupirais ! et bien souvent en entonnant une chanson joyeuse, ma douleur s’exaspérait, et une plainte mal réprimée étouffait ma voix.