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au-dessus des autres. Ruche bizarre et monstrueuse, dont les alvéoles fourmillent d’êtres humains, qui vivent à côté de la civilisation, qui s’y trouvent mêlés par un contact de tous les jours, et qui restent sauvages.

Nous traversons le Darro sur un vieux pont de pierre, et nous l’écoutons mugir au fond d’un précipice. Quand je dis mugir, je force un peu la note ; car le Darro n’a pas assez de voix pour mugir, et quand il brise ses eaux sur les rochers il ne brise pas grand’chose.

On prétend qu’il tire son nom qui signifie jaune, de l’or qu’il charriait autrefois ; mais il pourrait très bien emprunter sa couleur aux Gitanos qui sont très basanés, et qui n’ont ni or, ni surtout de parfums à lui prêter.

La route monte lentement dans un pli de la montagne, et nous arrivons bientôt sur une espèce de terrasse d’où nous embrassons d’un seul coup d’œil tout le repaire des Gitanos. C’est un spectacle vraiment étrange et curieux, un tableau tout à fait digne de pinceau d’un Rembrandt ou d’un Ribera.

Représentez-vous l’amphithéâtre d’un cirque ayant quatre rangées irrégulières de loges ; supposez que ces loges soient des antres sombres, creusés sous terre, et qu’il en sorte des créatures humaines presque sauvages, circulant d’une loge à l’autre au bord de rampes escarpées ; imaginez au-dessus de ces grottes, comme couronnement, des plantations de cactus qui y entretiennent la fraîcheur, et vous aurez peut-être une idée du bizarre panorama que nous avons sous les yeux.

Quand il fait beau temps, et que le soleil luit, comme en ce moment, toute cette population sort de sa taupi-