Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t9.djvu/350

Cette page n’a pas encore été corrigée

as-tu pas : tu ne le connoîtras jamais. Le Génie du Musicien soumet l’Univers entier à son Art. Il peint tous les tableaux par des Sons ; il fait parler le silence même ; il rend les idées par des sentimens, les sentimens par des accens ; & les passions qu’ il exprime, il les excite au fond des cœurs. La volupté, par lui, prend de nouveaux charmes ; la douleur qu’il fait gémir arrache des cris ; il brûle sans cessé & ne se consume jamais. Il exprime avec chaleur les frimats & les glaces ; même en peignant les horreurs de la mort, il porte dans l’ame ce sentiment de vie qui ne l’abandonne point, & qu’il communique aux cœurs faits pour le sentir. Mais hélas ! il ne fait rien dire à ceux où son germe n’est pas, & ses prodiges sont peu sensibles à qui ne les peut imiter. Veux-tu donc savoir si quelque étincelle de ce feu dévorant t’anime ? Cours, vole à Naples écouter les chef-d’œuvres de Leo, de Durante, de Jommelli, de Pergolèse. Si tes yeux s’emplissent de larmes, si tu sens ton cœur, palpiter, si des tressaillemens t’agitent, si l’oppression te suffoque dans les transports, prends le Métastase & travaille ; son Génie échauffera le tien ; tu créeras à son exemple : c’ est-là ce que fait le Génie, & d’autres yeux te rendront bientôt les pleurs que les Maîtres t’ ont sait verser. Mais si les charmes de ce grand Art te laissent tranquille, si tu n’as ni délire ni ravissement, si tu ne trouvé que beau ce qui transporte, oses-tu demander ce qu’est le Génie ? Homme vulgaire, ne profane point ce nom sublime. Que t’importeroit de le connoître ? tu ne saurois le sentir : fais de la Musique Françoise.