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Othon avoit le cœur moins efféminé que le corps. Ses plus familiers eſclaves & affranchis, accoutumés à une vie trop licencieuſe pour une maiſon privée, en rappellant la magnificence du Palais de Néron, les adulteres, les fêtes nuptiales, & toutes les débauches des Princes, à un homme ardent après tout cela, le lui montroient en proie à d’autres par ſon indolence, & à lui s’il oſoit s’en emparer. Les Aſtrologues l’animoient encore, en publiant que d’extraordinaires mouvemens dans les Cieux lui annonçoient une année glorieuſe. Genre d’hommes fait pour leurrer les Grands, abuſer les ſimples, qu’on chaſſera ſans ceſſe de notre Ville, & qui s’y maintiendra toujours. Poppée en avoit ſecrétement employé pluſieurs qui furent l’inſtrument funeſte de son mariage avec l’Empereur. Ptolomée un d’entr’eux qui avoit accompagné Othon, lui avoit promis qu’il survivroit à Néron, & l’événement joint à la vieilleſſe de Galba, à la jeuneſſe d’Othon, aux conjectures & aux bruits publics, lui fit ajouter qu’il parviendroit à l’Empire. Othon, ſuivant le penchant qu’a l’eſprit humain de s’affectionner aux opinions par leur obſcurité même, prenoit tout cela pour de la ſcience & pour des avis du deſtin, & Ptolomée ne manqua pas, ſelon la coutume, d’être l’inſtigateur du crime dont il avoit été le Prophete.

Soit qu’Othon eût ou non formé ce projet, il eſt certain qu’il cultivoit depuis long-tems les gens de guerre, comme eſpérant ſuccéder à l’Empire ou l’uſurper. En route, en bataille, au Camp, nommant les vieux ſoldats par leur nom, &, comme ayant ſervi avec eux ſous Néron, les appellant Camarades,