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humain, moins étendu, moins noyé parmi les opinions vulgaires, s’élabore & fermente mieux dans la tranquille solitude : parce qu’en voyant moins, on imagine davantage enfin, parce que, moins presse du tems, on a plus le loisir d’étendre & digérer ses idées.

Je me souviens d’avoir vu dans ma jeunesse aux environs de Neufchâtel un spectacle assez agréable & peut-être unique sur la terre. Une montagne entiere couverte d’habitations dont chacune fait le centre, des terres qui en dépendent ; en forte que ces maisons, à distances aussi égales que les fortunes des propriétaires, offrent à la fois aux nombreux habitans de cette montagne, le recueillement de la retraite & les douceurs de la société. Ces heureux paysans, tous à leur aise, francs de tailles, d’impôts, de subdélégués, de corvées, cultivent, avec tout le soin possible, des biens dont le produit est pour eux, & emploient le loisir que cette culture leur laisse a faire mille ouvrages de leurs mains, & à mettre à profit le génie inventif que leur donna la Nature. L’hiver sur-tout, tems où la hauteur des neiges leur ôte une communication facile, chacun renferme bien chaudement, avec sa nombreuse famille, dans sa jolie & propre maison de bois *

[* Je crois entendre un bel-esprit de Paris se récrier, pourvu qu’il ne lise pas lui-même, à cet endroit comme à bien d’autres, démontrer doctement aux Damas, (car c’est sur-tout aux Dames que ces Messieurs démontrent ) qu’il est impossible qu’une maison de bois soit chaude. Grossier mensonge ! Erreur de physique ! Ah, pauvre Auteur ! Quant à moi, je crois la démonstration sans replique. Tout ce que je sais, c’est que les Suisses passent chaudement leur hiver au milieu des neiges, dans des maisons de bois