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le parti d’aller vivre heureux & ignorés dans un coin de la terre ; qu’une Scene si touchante soit animée des sentimens tendres & pathétiques que fournit la matiere & que Racine eût si bien fait valoir ; que Titus en quittant les Romains leur adresse un discours, tel que la circonstance & le sujet le comportent : n’est-il pas clair, par exemple, qu’à moins qu’un Auteur ne soit de la derniere mal-adresse, un tel discours doit faire fondre en larmes toute l’assemblée ? La Piece, finissant ainsi, sera, si l’on veut, moins bonne, moins instructive, moins conforme à l’histoire, mais en fera-t-elle moins de plaisir, & les Spectateurs en sortiront-ils moins satisfaits ? Les quatre premiers Actes subsisteroient à-peu-près tels qu’ils sont, & cependant on en tireroit une leçon directement contraire. Tant il est vrai que les tableaux de l’amour font toujours plus d’impression que les maximes de la sagesse, & que l’effet d’une Tragédie est tout-à-fait indépendant de celui du dénouement ! *

[* Il y a dans le septieme Tome de Pamela, un examen très-judicieux de l’Andromaque de Racine, par lequel on voit que cette Piece ne va pas mieux à son but prétendu que toutes les autres.]

Veut-on savoir s’il est sûr qu’en montrant les suites funestes des passions immodérées, la Tragédie apprenne à s’en garantir ? Que l’on consulte l’expérience. Ces suites funestes sont représentées très-fortement dans ZaÏre ; il en coûte la vie aux deux Amans, & il en coûte bien plus que la vie à Orosmane : puisqu’il ne se donne la mort que pour se délivrer du plus cruel sentiment qui puisse entrer dans un cœur humain, le remords d’avoir poignardé sa maîtresse. Voilà donc, assurément