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reste gravée au fond du cœur. Quand le Patricien Manilius fut chasse du Sénat de Rome pour avoir donné un baiser à sa femme en présence de sa fille, à ne considérer cette action qu’en elle-même, qu’avoit-elle de répréhensible ? Rien sans doute : elle annonçoit même un sentiment louable. Mais les chastes feux de la mere en pouvoient inspirer d’impurs à la fille. C’étoit donc, d’une action fort honnête, faire un exemple de corruption. Voilà l’effet des amours permis du Théâtre.

On prétend nous guérir de l’amour par la peinture de ses foiblesses. Je ne sais là-dessus comment les Auteurs s’y prennent ; mais je vois que les Spectateurs sont toujours du parti de l’amant foible, & que souvent ils sont fâchés qu’il ne le soit pas davantage. Je demande si c’est un grand moyen d’éviter de lui ressembler ?

Rappellez-vous, Monsieur, une Piece à laquelle je crois me souvenir d’avoir assisté avec vous, il y a quelques années, & qui nous fit un plaisir auquel nous nous attendions peu, soit qu’en effet l’Auteur y eut mis plus de beautés théatrales que nous n’avions pensé, soit que l’Actrice prêtât son charme ordinaire au rôle qu’elle faisoit valoir. Je veux parler de la Bérénice de Racine, Dans quelle disposition d’esprit le Spectateur voit-il commencer cette Piece ? Dans un sentiment de mépris pour la foiblesse d’un Empereur & d’un Romain, qui balance comme le dernier des hommes entre sa maîtresse & son devoir ; qui, flottant incessamment dans une déshonorante incertitude, avilit par des plaintes efféminées ce caractere presque divin que lui donne l’histoire ; qui fait